Ce texte me fait penser à ce célèbre tableau : « le cri » de Munch. Ce n’est pas tant la cécité de ces hommes qui est touchante mais leur cri. Est-ce un cri sur leur propre état ou sur l’état du monde ? « Aie pitié de nous » : la vie dans le noir n’est pas possible, la vie sans couleur est dure, la vie sans espoir mortelle. Ce cri vient du plus profond du cœur. Seul un homme conscient de ne voir ni la beauté ni la vérité peut implorer pour trouver ainsi la vraie vue. Il faut se savoir aveugle pour vouloir voir. Les frustrations de la cécité sont terribles, encore faut-il être conscient de ce qu’on rate.
Les deux aveugles ne prennent pas la peine de dire ce qu’ils veulent : le cri parle pour eux, le cri est tourné vers Jésus. Ils n’ont crié à personne d’autre. On crie pour demander pitié parce qu’on est poussé en avant par une force intérieure quand on rencontre celui qui peut changer les choses. Et Jésus ouvre les yeux des deux aveugles. Pourquoi notre foi n’a-t-elle pas la force de ce cri, pourquoi sommes-nous si souvent aveugles de notre propre cécité ?
Syméon le Nouveau Théologien (v. 949-1022), moine grec, extraits de l’Hymne 53 :
[Le Christ parle:]
Quand j’ai créé Adam, je lui ai donné de me voir[…] Il voyait tout ce que j’avais créé avec ses yeux corporels et avec ceux de l’intelligence, il voyait mon visage à moi, son Créateur. Il contemplait ma gloire et s’entretenait avec moi à toute heure. Mais quand, transgressant mon commandement, il a goûté à l’arbre, il est devenu aveugle et est tombé dans l’obscurité de la mort…
Mais je l’ai pris en pitié et suis venu d’en haut. Moi, l’absolument invisible, j’ai partagé l’opacité de la chair. […]Devenu homme, j’ai été vu de tous. Pourquoi donc ai-je bien pu accepter de faire cela ? Parce que c’est là la vraie raison pour laquelle j’avais créé Adam : pour me voir. Lorsqu’il a été aveuglé et, à sa suite, tous ses descendants à la fois, je ne supportais pas d’être, moi, dans la gloire divine et d’abandonner ceux que j’avais créés de mes mains ; mais je suis devenu semblable en tout aux hommes, corporel avec les corporels, et je me suis uni à eux volontairement.
Tu vois quel et mon désir d’être vu par les hommes. Comment donc peux-tu dire que je me cache de toi, que je ne me laisse pas voir ? En vérité je brille, mais toi, tu ne me regardes pas.
Philippe